Les céramiques peintes ibériques au Ve siècle avant J.-C.

en Languedoc occidental et en Roussillon

Eric GAILLEDRAT *

1. Problèmes de définition

Sans insister sur l'historiographie de la recherche sur les céramiques peintes "ibériques", il n'en demeure pas moins vrai qu'un effort de définition semble encore s'imposer à l'heure actuelle, tant les incertitudes concernant la nature de ces productions se sont reflétées dans un certain flou du vocabulaire. Un tel flottement n'est pas innocent, et traduit la difficulté de reconnaître, ou de réfuter, le caractère "ibérique" du Languedoc occidental et du Roussillon. Ces hésitations correspondent à la complexité d'une situation à la fois particulière du point de vue géographique et du point de vue culturel : proximité de l'Espagne, présence coloniale grecque et intégration au commerce méditerranéen, font de cette région un creuset où viennent se mêler les biens échangés, les techniques, et dans une moindre mesure les hommes.

Le problème de l'identité de ces céramiques, et l'ambiguïté du vocabulaire en résultant, n'a en fait que peu évolué depuis les années 50 où Jannoray parlait de "vaisselle de tradition ionienne" pour les séries mises au jour à Ensérune (Jannoray 1955, 52-58). L'appellation de "céramique peinte à l'ocre" utilisée à la même époque par O. et J. Taffanel (Louis, Taffanel 1955, 115) illustre déjà la prudence exprimée face à une production dont l'origine, locale ou importée, pose problème, et dont les sources d'inspiration se révèlent être multiples, ne se limitant pas à l'aspect hellénique. Parallèlement, la recherche tend de plus en plus à insister sur le rôle joué par les Phéniciens ou les Puniques dans la genèse de la culture ibérique.

Le terme d' "ibéro-languedocien", mis en avant dans les années 70 par J.-J. Jully (Jully 1972 ; Jully, Nordstrom 1975) et largement adopté depuis, exprime cette idée de synthèse des différents courants effectuée par le monde

digène, et la marque particulière imprimée par ce dernier à une production dont les caractéristiques essentielles se retrouvent dans l'ensemble du domaine ibérique, de l'Andalousie au Languedoc. Néanmoins, ce terme a été adopté de manière trop exclusive, pour la simple raison qu'il permet de compenser l'insuffisance des travaux concernant cette céramique, et la définition même de ce que l'on doit nommer "ibérique" ou "ibère" : le matériel du Languedoc- Roussillon est alors individualisé, face à celui "proprement ibérique" d'Espagne, et face aux productions pseudo-ioniennes du Sud de la Gaule. Or, les critères autorisant une telle distinction demeurent flous et les publications attribuent en bloc, implicitement ou non, aux ateliers languedociens l'ensemble des céramiques peintes qui n'entrent pas dans le cadre des typologies pseudo-ioniennes, faisant dans le même temps le silence sur la question des éventuelles importations.

Le travail de Y. Solier, essentiellement fondé sur les résultats de la fouille du site de Pech Maho (Solier 1977), reste à l'heure actuelle un outil de synthèse essentiel, pressentant l'origine variée des différents produits. Demeuré isolé depuis, alors que manque la publication de séries de référence pour l'ensemble des sites, un vide s'est fait sentir dans la recherche régionale. Ce vide tend actuellement à être comblé, mais les synthèses du côté espagnol restent peu nombreuses, ce qui nous prive d'outils de comparaison valables. Importations et ateliers locaux restent alors à définir et à quantifier.

Le doute installé sur la signification des vocables "ibère", "ibérique", "ibérisation" ; la difficulté de distinguer certaines productions "ibéro-languedociennes" d'autres productions "pseudo-ioniennes", si ce n'est sur telle ou telle indication jugée significative donnée par la forme ou le décor (Py 1979-80) ; la similitude de pâtes entre certaines céramiques peintes et d'autres céramiques "communes" dépourvues de tout décor... tout ceci conduit alors à parler de "céramiques à pâte claire", peintes ou non.